Rarement avions-nous assisté à un tel pilonnage d'une institution publique : à peine le rapport sur "L'organisation et la gestion des forces de sécurité publique" a-t-il été connu que les ténors de l'UMP, emmenés par le Ministre de l'Intérieur Guéant, se sont rués sur les micros et devant les caméras pour dénoncer un travail orienté, une sorte de brûlot socialiste !
Ce n'est pas banal que la Cour des Comptes, qui est habituellement saluée pour son indépendance, soit ainsi traitée. Pas banal non plus que l'UMP lance sa meute sur un Président de la Cour des Comptes, certes de Gauche, mais nommé par le Président de la République lui-même !
C'est d'ailleurs méconnaître (volontairement) le travail accompli car le Président de la Cour n'est évidemment pas le rédacteur de tous les textes produits par l'institution.
Il était cependant impérieux pour l'UMP de détourner l'attention et dénoncer la partialité du rapport plutôt que de débattre sur le fond. Le sujet est en effet plus que "sensible" : la sécurité, question névralgique pour le pouvoir en place, l'axe sur lequel N. Sarkozy avait construit sa réputation en tant que Ministre de l'Intérieur - on se souvient de l'épisode du « karcher » - et sur lequel il espérait mettre la Gauche en difficulté.
En tant que Maire, je me rends compte d'un certain nombre de réalités et, plus encore, des difficultés rencontrées en la matière par nombre de nos concitoyens. Après sans doute deux dizaines d'années d'amélioration (étant né dans le 13e, il me semble avoir le recul nécessaire pour en parler), je sens la situation se dégrader dans certains quartiers de l'arrondissement. C'est évidemment dans les "cités", les ensembles de logements sociaux, que certains habitants du 13e sont confrontés aux problèmes les plus importants : des nuisances sonores - qui sont terribles quand elles sont quotidiennes - jusqu'aux intimidations, détériorations, menus larcins et cambriolages. Et c'est sur ces sujets que la police a le plus de difficulté à apporter des réponses... surtout quand les effectifs sont en baisse.
Mais, au-delà de mon expérience personnelle, j'ai donc voulu me rendre compte par moi-même, en lisant ce fameux rapport tant décrié. A dire vrai, l'objet est en lui-même impressionnant et ses 248 pages, décortiquant des milliers de chiffres, ne ressemblent en rien à un "tract du PS" comme l'a affirmé bien légèrement, et pour tout dire bien sottement, un responsable de l'UMP.
Rien n'a échappé aux rapporteurs. Et pour commencer, la question des effectifs.
Les rapporteurs analysent en effet que l'augmentation des effectifs opérée depuis 2002, quand N. Sarkozy est devenu Ministre de l'Intérieur et qu'il faisait de la sécurité un argument pour assurer sa promotion personnelle, a été suivie par une égale diminution, après un retournement de tendance en 2009, alors que le même N. Sarkozy était devenu entre-temps Président de la République : " Les effectifs de policiers et de gendarmes, après avoir fortement augmenté à la suite du vote de la loi d'orientation de la sécurité intérieure du 29 août 2002, dite LOPSI, ont ainsi commencé à décroître depuis 2009. En 2010, ils étaient moins nombreux qu'en 2006."
Bref, en langage moins diplomatique, après un affichage sur la priorité donnée à la sécurité, les effectifs ont été largement amputés. Il était évident qu'en mettant au centre de la politique gouvernementale la diminution du nombre des fonctionnaires, les gros bataillons que sont les professeurs et les policiers ne seraient pas épargnés ! Les rapporteurs notent au passage de très importantes disparités entre les territoires. Et, cerise sur le gâteau, les rapporteurs soulignent le "faible taux de présence sur la voie publique" des policiers. Et j'ajoute, à titre plus personnel, que le sabordage de la police de proximité a sans doute largement contribué à cette situation.
Le corollaire a été un développement important des polices municipales, "hors Paris et la petite couronne" (n'oublions pas que la loi interdit une telle création dans la Capitale). Hormis donc Paris, les rapporteurs notent qu'"on ne dénombre désormais que quatre villes de plus de cinquante mille habitants sans policiers municipaux", avec une progression globale des effectifs de 35 % au cours des huit dernières années ! En globalité, les policiers municipaux représentent environ "11 % des effectifs cumulés, de la police et de la gendarmerie nationale". Le tout avec des domaines d'intervention très contrastés, parfois une absence de définition claire des missions et des objectifs ou de rapports d'activité et une formation souvent insuffisante. Mais la conclusion des magistrats est cependant claire, cela "entérine une forme de recul des missions de surveillance générale de la voie publique assurées par les services de l'Etat..." Malheureusement, je peux témoigner qu'à Paris, les difficultés les plus importantes sont à ce niveau... sans possibilité de faire intervenir une police municipale interdite.
J'ajoute que ce développement des contingents municipaux est évidemment supporté par nos concitoyens qui sont désormais appelés à payer deux fois, par les impôts d'Etat (gendarmerie et police nationale) et par les impôts locaux (police municipale), pour un service qui ne s'améliore pas. Dans ce cadre, signalons la situation encore plus paradoxale (ubuesque ?) que nous connaissons dans la Capitale car les impôts des Parisiens financent déjà largement la Préfecture de Police et notamment 2 330 ASP (Agents de Surveillance de Paris) sans que les élus n'aient de droit à contrôler leur travail ou participer à l'organisation de leurs missions. Le résultat, nous le connaissons tous : c'est la sécurité du quotidien qui se détériore et les potelets se multiplient sur les trottoirs, faute d'une verbalisation efficace et bien orientée.
La partie la plus "cruelle" du rapport concerne sans nul doute l'analyse des résultats. La Cour décortique sans complaisance l'opacité du système actuel. Elle pointe du doigt ce que nous savions déjà, à savoir des consignes explicites afin de dissuader des plaintes et donc leur traduction dans les statistiques. Exemple, en 2009, les services de police ont mis en application une directive des parquets qui recommandait "de s'abstenir d'enregistrer des plaintes des victimes d'escroqueries commises par l'utilisation frauduleuse de cartes bancaires". Les magistrats notent aussi cruellement "que les statistiques départementales présentent parfois une grande instabilité qui peut faire douter de leur fiabilité", avec à la clé des mouvements erratiques incompréhensibles et contraires au bon sens.
Malheureusement, tous ces efforts d'habillage, voire de maquillage, ne permettent pas de dissimuler le plus inquiétant : entre 2002 et 2009, les atteintes à l'intégrité physique des personnes ont connu une hausse de 20 %, même si elles sont enregistrées par les services de police "selon la qualité de la victime ou la nature des faits sous une quinzaine d'index statistiques qui ne leur sont pas réservés." Les statistiques publiées en ce mois de juillet en attestent une nouvelle fois.
Enfin, les magistrats s'interrogent sur l'efficacité de la vidéo-surveillance. A juste raison, ils pointent l'absence d'évaluation sérieuse sur l'efficacité de ces dispositifs et souvent un "contrôle insuffisant sur la conformité des projets" (même si ce n'est pas la situation parisienne) ainsi que la nécessité de mieux définir les "personnes habilitées à visionner". Plus encore, les magistrats affirment que "le recours croissant à la vidéosurveillance de la voie publique ne peut se substituer à l'action des forces de sécurité étatiques ; il s'y ajoute." Une affirmation que nous aimerions voir se concrétiser dans les faits !
On voit qu'en cette matière plus encore que dans d'autres (car il s'agit de la sécurité au quotidien de nos concitoyens), les rodomontades et les gesticulations trouvent rapidement leurs limites et qu'elles ne sauraient masquer durablement la nécessité de vrais choix politiques.
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