Samedi 12 avril nous avons inauguré, avec l'Association à la Mémoire des Enfants Juifs Déportés du 13ème (A.M.E.J.D.) et en présence de Mme Vieu-Charrier Adjointe au Maire de Paris en charge de la Mémoire et du Monde Combattants, les plaques commémorant la mémoire des 11 enfants du groupe scolaire Vulpian Paul Gervais morts en camp de concentration.
Je vous prie de trouver ci dessous le discours que j'ai prononcé lors de cette cérémonie. Vous pourrez aussi lire le témoignage de M. Jacques Litvine, ancien élève de cet école et dont la famille habitait le quartier lors des années sombres de l'occupation.
Ci-dessous le témoignage de M. Jacques Litvine
C’était hier, un temps si proche que j’ai l’impression de pouvoir
caresser mon enfance…
Pour ma famille tout a commencé au 69 Rue Croulebarbe puis ensuite au 51.
Mon oncle arriva à
l’école VULPIAN en 1917 en passant par Paul Gervais, il était le 611ème
élève depuis l’ouverture.
Moi, j’étais le dernier de la lignée. En 1954 le registre indiqua le N°
3860 en passant également par Paul Gervais.
Mon grand-père tenait ma petite main d’enfant direction la maternelle en
me parlant tendrement et avec encouragement en yiddish pour apaiser mes
craintes.
Tous ces gamins de Paris, dont beaucoup étaient venus de la zone des
« fortifs » démolie en 1919. D’autres venaient en tant que réfugiés
Belges à l’époque de la DER des DER ( 1914-1918 ), ou également des gosses
d’une Italie en misère ou comme les miens, pour fuir le
« pogromes » de l’empire des Tsars.
Ensemble à Vulpian, habillés en blouses grises pour cacher nos pauvres
vêtements achetés au marché sous le métro aérien Corvisart. Le 13ème
arrondissement avait la réputation d’être le plus mal famé de Paris.
La loi du 28 mars 1882 de Jules Ferry a rendu l’école obligatoire. Le 13ème
a été tartiné, comme toute la France, de la brique Républicaine. En effet, le
peuple a le droit à la brique et les bourgeois à la pierre ; chacun sa
place ! Peu importe, la brique est le premier matériau de construction
inventé par l’homme avant l’écriture. C’est grâce à cette argile cuite que les
premières villes ont été fondées.
L’école en brique Vulpian accueille son premier élève en octobre 1913.
Les bains douche de la Butte aux Cailles appareillés en brique en 1924.
L’HBM du 51 Rue Croulebarbe tout en brique fournit à Vulpian un énorme
contingent d’élèves à partir de 1926. Toutes ces constructions ont été bâties
par des ouvriers généralement illettrés. En parcourant les registres scolaires,
on peut lire les métiers de nos pères, souvent comme « homme de
peine », « journalier », « manœuvre » ou alors « petit
ouvrier ou artisan ». Des nouveaux métiers vinrent par la suite, à partir
de août 1914, comme « mobilisé », « prisonnier de guerre »,
« blessé de guerre » ou « mort au champ d’honneur » et
enfin en 1936, « chômeur ». Les femmes étaient classées souvent sous
la rubrique « sans profession ».
On n’avait pas de téléphone, pas de télévision, pas de salle de bain, pas
d’eau chaude, pas de chauffage sauf au charbon pour alimenter la cuisinière en
fonte. En réfléchissant, on n’avait pas grand-chose mais on n’en souffrait pas.
C’était le bonheur dans l’ignorance.
A la récré, on jouait aux billes en plâtre peintes en couleur bleues,
rouges, jaunes et vertes pour gagner des soldats en plomb. On tapait la carte
et faisait sauter les « osselets ». On jouait à chat autour des
platanes, aux indiens et aux cow-boys. On échangeait nos images gagnées aux
bons points remis par l’enseignant si on les méritait.
En classe, on était plus de quarante garçons et les filles étaient
séparées par le mur de la cour, dans l’autre bâtiment Rue Corvisart.
On trempait nos porte-plumes dans l’encrier en porcelaine blanche rempli
d’encre violette. Attention aux tâches et aux ratures sur les cahiers. Le maître
ou la maîtresse nous tombait dessus avec leur porte-plume à l’encre rouge. La
note zéro sur dix était assez courante à l’époque. Certains cahiers avaient
autant de rouge que de violet.
Obtenir le certif était un rêve lointain, mais doucement on y arrivait
grâce aux enseignants dévoués et quelques élèves doués. Après la sortie et
l’étude, il était plus de six heures du soir mais on aimait faire un tour au
square, ancien jardin ouvrier de la manufacture. Ce grand rectangle de verdure
en bas des marches. On avait oublié que la Bièvre coulait en ruisseau à côté.
Un nouveau conflit allait changer la petite vie des enfants.
En septembre 1939, la drôle de guerre. Tous les hommes mobilisés. La
fermeture des écoles en juin 1940. La défaite. L’occupation. Les prisonniers.
Tout ça en quelques mois.
Nous avions froid et surtout faim. Il fallait tout le temps faire la
queue pour chercher de quoi manger. A la place de l’argent, ils avaient des
tickets de rationnement, même après la guerre.
Heureusement, on pouvait aller au ciné « La Fauvette » aux
Gobelins ou gambader jusqu’au jardin des plantes.
Malgré les privatisations et l’occupation, les enfants essayaient de
vivre normalement. En 1942, ils ont vu des places vides.
C’est comme ça qu’on a découvert que seuls les enfants avec l’Etoile
jaune ont été arrêtés pour ne plus jamais revenir. En France, on a déporté et
fait disparaître l’équivalent de 45 écoles comme celle de Vulpian.
Aujourd’hui, nous revoilà à l’école, après de si longues années de
silence.
Pourtant j’ai l’impression de pouvoir caresser mon enfance…
Je dédie ce discours aux élèves de Gervais, Corvisart et Vulpian ainsi
qu’aux habitants du quartier.
Je remercie l’Education Nationale et les enseignants de nous permettre de
poser ces plaques commémoratives.
Après tout, c’étaient des enfants ordinaires comme les autres.
Jacques LITVINE
Ci-dessous le discours que j'ai prononcé
Monsieur
le Président,
Mesdames
et Messieurs les Elus,
Monsieur
l’Inspecteur de l’Education Nationale,
Monsieur
le Directeur,
Mesdames
et Messieurs, Chers Amis,
Il y a des circonstances,
surtout quand elles sont empreintes de gravité et de recueillement, qui
nécessitent beaucoup de sobriété et je ne dérogerai pas aujourd’hui à cette
exigence.
Parler dans cette école, n’est
pas un acte anodin. Au contraire, c'est un acte porteur de sens et d’espoir.
Tout d’abord, parce qu’une
école, c’est la vie, c'est l’avenir, c'est l’énergie et c'est l’échange, autant
de symboles forts autour du message que nous souhaitons délivrer aujourd’hui.
S’exprimer ici, c’est aussi et
avant tout s’adresser aux jeunes générations.Vous êtes un maillon essentiel de
la société que nous construisons. La transmission du passé, j’en suis sûr, peut
nourrir vos actions dans le présent et le futur.
Enfin, une école c’est le
savoir. Un lieu de mémoire prend toute sa force quand il s’accompagne d’une
pédagogie historique dispensée par l’ensemble des enseignants. On retrouve ici
les deux vocations d’un établissement d’enseignement : un lieu consacré à la
transmission de la connaissance mais également et surtout un lieu
d’apprentissage de la citoyenneté.
Ce lieu de la mémoire vivante
aide à comprendre les évènements et le sens de l’histoire. Une vision d’avenir
ne peut véritablement se concevoir, ou même simplement s’imaginer, sans la
prise en compte de tout ce qui a constitué le cheminement des êtres humains.
Pour construire un monde plus
tolérant, plus généreux, plus fraternel, nous devons garder en mémoire ce qui,
par le passé, a pu conduire certains êtres humains à faire preuve des
manquements les plus graves, à commettre des crimes contre l'humanité, à
organiser industriellement un génocide.
Aucune origine, aucun statut
social, aucun positionnement philosophique, moral ou religieux ne saurait
justifier la moindre atteinte à l’intégrité de la personne. Aucune idéologie ne
saurait légitimer qu’en son nom, des souffrances soient infligées à des êtres
humains.
Si nous n’étions tenus que par
un seul engagement, tout au long de notre vie, ce devrait être celui du respect
de l’autre. Refuser l’autre, c’est, en quelque sorte, se mépriser soi-même.
Tout atteinte à la dignité
humaine ne peut relever que de la barbarie. L’histoire nous apprend, en effet,
que la barbarie n’a ni visage identifié, ni frontières, et la démonstration
nous en est malheureusement faite chaque jour dans de nombreuses régions du
monde.
En France,
pendant la seconde Guerre mondiale, 14.000 enfants juifs ont été déportés. 14.000,
à peu près le nombre d’enfants de moins de 11 ans dans le 13e.
14.000 enfants,
et à peine 200 d’entre eux sont revenus des camps, essentiellement des
adolescents ayant triché sur leur âge pour partir en camp de travail.
14.000 enfants,
ce nombre glace le sang. Et pourtant, ils auraient pu être bien plus nombreux.
Car en France, plus qu’ailleurs en Europe, les enfants juifs ont été sauvés par
des anonymes ou des associations, par des laïcs ou des religieux.
Ces Justes,
comme ont les appelle ont su tendre la main aux victimes de la guerre et sauver
de nombreux enfants dont le seul tort étaient d’être nés juifs. 80% d’entre eux
ont ainsi été cachés et sauvés d’une mort certaine. Aux Pays-Bas, ils n’étaient
que 10%...
Ces chiffres et ces mots sont
faibles devant la réalité des faits historiques. Comment pourrait-il en être autrement,
dès lors qu’il s’agit d’aborder l’une des pages les plus douloureuses de notre
histoire ?
Les historiens n’ont de cesse
d’interroger les documents et les témoignages pour comprendre
l’incompréhensible. Des témoignages emplis d’émotion et de brutalité.
D’abord le témoignage de ceux
qui sont revenus racontant comment ils ont survécu à cet enfer.
Ensuite le témoignage des
faits : des camps de concentration, les chambres à gaz, les charniers…
Enfin notre témoignage, nous
adultes, qui avons eu la chance de ne pas connaître l’horreur des camps. Notre
témoignage, simple mais indispensable doit rappeler en permanence à ceux de
votre génération, et des suivantes, que cette horreur a bien existé et qu’il
tient un peu à chacun d’entre nous qu’elle ne se reproduise pas.
A l’heure où l’actualité nous
rappelle quotidiennement que les Droits de l’Homme sont un bien précieux qu’il
faut préserver, le devoir de mémoire devient une responsabilité collective.
Nous devons le défendre avec force, il est la source de notre « vivre ensemble
».
Il y a quelques
jours encore, des actes odieux de profanations de sépultures ont montré que la
bête immonde était toujours prête à surgir. Les valeurs de paix, de tolérance
et de respect de l’autre ne continuent d’exister que si elles sont entretenues
au quotidien.
Alors les
enfants, ne les oubliez pas et n’oubliez jamais ce qui s’est passé il y a plus
de 60 ans. Gardez toujours à l’esprit que le renoncement aux valeurs de notre
République – la Liberté, l’Egalité et la Fraternité – peut conduire au pire.
Vive la Paix,
Merci à tous
Jérôme
Coumet
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